Quelqu’un a dit de nous : « Nous n'étions que des ados attardés. Trimballant une inexpérience de la vie à travers les décennies. »
Je n’ai pas l’impression d’avoir passé toutes ses années dans l’inexpérience. Ni que l’implacable expérience de ces derniers mois ait entamé ce moi profond. J’ai tissé pendant plus de vingt-cinq ans dans le fil de mes jours ma force quotidienne dans l’amour. Un amour monumental, monolithique, fait de confiance, d’expérience partagée, de soif de connaître. Mon expérience s’est bâtie sur le plaisir des petites choses, de l’exigence des grandes, de la fréquentation impérieuse de la beauté des livres, des objets, des oeuvres d’art ; de la rencontre avec les hommes et leurs traces dans les murettes, les dolmens, les cabanes ; avec les fées et leurs traces sur les chemins, dans les troncs des mues de cigales, dans les échos des sources, les vapeurs du thé et les notes des muses ; dans les sourires des petits, leurs gribouillis, les émerveillements de leurs premières émotions esthétiques et de leurs premiers mots lus. Je me suis nourrie de petits bonheurs, d’émotions champêtres, de rires enfantins et des richesses du vieux monde. La tempête d’hier n’a pu me balayer. Je fais toujours aussi peu de cas du jugement des trentenaires que l’absence d’idéal ronge, des quadragénaires abattus par le quotidien, des quinquagénaires bedonnants cadrés par le raisonnable. En moi est restée la petite fille obstinée et tenace, qui enfermée dans sa prison familiale rêvait d’un lendemain meilleur. Que protège la femme déterminée, qui n’est plus à terre, relevée pour continuer la lutte, la découverte de nouvelles merveilles cachées dans les pages et derrière le col. Que ceux qui se veulent mûrs deviennent blets, là est leur destin.