3.12.06

Nous n'étions que des ados attardés.

Quelqu’un a dit de nous : « Nous n'étions que des ados attardés. Trimballant une inexpérience de la vie à travers les décennies. »

Je n’ai pas l’impression d’avoir passé toutes ses années dans l’inexpérience. Ni que l’implacable expérience de ces derniers mois ait entamé ce moi profond. J’ai tissé pendant plus de vingt-cinq ans dans le fil de mes jours ma force quotidienne dans l’amour. Un amour monumental, monolithique, fait de confiance, d’expérience partagée, de soif de connaître. Mon expérience s’est bâtie sur le plaisir des petites choses, de l’exigence des grandes, de la fréquentation impérieuse de la beauté des livres, des objets, des oeuvres d’art ; de la rencontre avec les hommes et leurs traces dans les murettes, les dolmens, les cabanes ; avec les fées et leurs traces sur les chemins, dans les troncs des mues de cigales, dans les échos des sources, les vapeurs du thé et les notes des muses ; dans les sourires des petits, leurs gribouillis, les émerveillements de leurs premières émotions esthétiques et de leurs premiers mots lus. Je me suis nourrie de petits bonheurs, d’émotions champêtres, de rires enfantins et des richesses du vieux monde. La tempête d’hier n’a pu me balayer. Je fais toujours aussi peu de cas du jugement des trentenaires que l’absence d’idéal ronge, des quadragénaires abattus par le quotidien, des quinquagénaires bedonnants cadrés par le raisonnable. En moi est restée la petite fille obstinée et tenace, qui enfermée dans sa prison familiale rêvait d’un lendemain meilleur. Que protège la femme déterminée, qui n’est plus à terre, relevée pour continuer la lutte, la découverte de nouvelles merveilles cachées dans les pages et derrière le col. Que ceux qui se veulent mûrs deviennent blets, là est leur destin.

11.10.06

Avec le temps

Je ne compterai pas les larmes que j’ai versées sur cette chanson chaque fois que je l’entendais. Que ce soit par Léo Ferré, par Dalida très différente
. Elle me bouleversait.
L'autre qu'on adorait, qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard

Les chansons sont pour moi un élément essentiel de la vie, les échos
de mon âme, les signes du quotidien.
Celle-ci m’apparaissait insupportable, épouvantable (un lapsus m’a fait écrire éprouvantable) inacceptable.
Ces derniers mois, je ne voulais même pas l’écouter, je coupais l’autoradio.
Et puis je l’ai entendu par hasard, en entier, et je l’ai écoutée.
Un nouvel écho, un nouveau signe.
Je ne la trouve plus insupportable, épouvantable, inacceptable.
Elle est pleine d’enseignement, désabusée sûrement, mais très sage.
Elle est simplement apaisante.
Il y a simplement pour moi beaucoup de nostalgie à ne plus utiliser les mots des pauvres gens.

Avec le temps, va, tout va bien.

29.9.06

J'ai vu mourir le monde ancien

11 Septembre 2001. Je n'oublierai jamais ce jour. J'étais dans ma classe, je recevais des parents quand ma collègue a surgi pour m'annoncer la chute des tours. Bien sûr je n'y ai pas cru.
Après, j'ai fait comme tout le monde. J'ai regardé la télévision. Je ne savais pas que je vivais la fin de beaucoup de choses. Je pressentais que cet événement allait avoir des conséquences pour le monde, mais je ne savais pas qu'elle allait détruire le mien.
Depuis ce jour là, la vie a changé pour moi. Ce n'est pas seulement ma vision qui en a changé, mais sans doute la plupart des gens ont changé ce jour là sans s'en rendre compte, ou quelque chose en eux est venu au jour.
Les heures suivantes, beaucoup de gens les ont oubliés. Pas moi. La sensation de total parano. Le regard de beaucoup de gens changeaient. Leur regard sur les Juifs, et la juive que j'étais. Je n'avais jamais connu ça avant. Etre coupable de quelque chose sans qu'on sache très bien quoi, et sans avoir rien fait. Même plus tard, quand on a su que ce n'étaient pas les Palestiniens. On a reparlé des juifs. Des amis ont été insultés, des enfants d'amis ont été agressés. Mais ce qui était pire, c'étaient les commentaires : "oui, tu comprends, avec tout ce qui se passe en Israël". J'ai compris de l'intérieur les sentiments des générations précédentes. J'ai compris que le plus jamais ça ça n'existe pas. J'ai compris que tout pouvait recommencer.
Quelque chose de la confiance dans le monde s'est rompu, qui n'est pas revenu. Bien sûr, le temps a passé. Mais je n'ai pas oublié. Il y a quelque chose de la vigilance qui veille toujours au fond de moi.
Certains autour de moi ne s'en sont pas remis. Touchés, aigris. Pire, contaminés. Ils sont devenus injustes, amers, et ont perdu peu à peu leurs repères moraux. tout devenait possible. D'eux j'ai été victime aussi. Le mal partout tapi dans l'ombre, je n'y croyais pas et il a surgi.
Pourtant, le monde est toujours éclairé, il va toujours comme il peut. On dit qu'il repose sur une poignée de Justes. J'en connais quelques uns, et cela suffit pour me donner courage en l'avenir. J'ai bravé la tempête et je tiens la route. Dans l'oeil de cyclone ?

6.8.06

Du bonheur d’être veuve

Au mémorial de Caen, il y avait une exposition sur Saint-Exupéry et sa femme Consuelo. Des photos, des objets personnels, des films. Je supporte désormais très bien les fictions autour de l’amour, même les plus tristes. Mais je ne supporte toujours pas les histoires vraies. En boucle était diffusée la prière que Saint-Exupéry avait écrite pour que sa femme l’utilise à la première personne :une petite merveille du genre faites qu’il disparaisse le premier car il ne pourrait vivre sans moi. Je n’ai pas tenu le coup et je suis vite partie.
Les veuves ne connaissent pas leur bonheur. Tristan bedonnant et râleur, Roméo tombant dans les bras d’une autre cousine, Pelleas dans ceux de son meilleur ami. Qu’il doit être doux de pleurer la mort de l’être parfait, parti dans son idéal d’amoureux, le cœur rempli de soi, fidèle et tendre.

Peut-on jamais savoir par où commence
Et quand finit l'indifférence
Passe l'automne vienne l'hiver
Et que la chanson de Prévert
Cette chanson, Les Feuilles Mortes
S'efface de mon souvenir
Et ce jour là, mes amours mortes
En auront fini de mourir
(Serge Gainsbourg)

17.7.06

Cimetière


Cimetière américain de Saint Laurent sur Mer


Samedi, je me suis promenée au milieu d'un grand cimetière.
La dernière fois que je me suis trouvée dans un tel endroit, c'était au mont Koya, au Japon. Des tombes innombrables parmi les crytptomères; des mères inconsolables y laissent des carrés de tissus pour leur Jizu.
Ici certainement beaucoup de mères pleurent leurs fils tombés. Eternellement jeunes. Eternellement morts. Parmi les croix, quelques étoiles disséminées, qui se confondent dans les lignes à perte de vue. Un tapis de gazon, impeccable, le bassin aux nénuphars. Le son d'une cornemuse au loin. Là tout n'est qu'ordre et beauté. Et calme. Paisible même. Le bruit de la mer en tempête, toute proche. Ce jour là, elle devait être rouge, comme au temps des plaies de Pharaon. Il n'y a plus signe de tout cela, tout est vert, et calme, et beau. Pourtant, je marche sur des milliers de corps qui eux même ont marché là, vivants, jeunes, terrorisés sûrement, et pour toujours maintenant sous mes pieds. Pour que je vive, et ma fille avec moi, comme ces petits qui courent partout en riant, que leurs parents poursuivent, génés, et calment par un baiser. Je vous embrasse aussi, dormeurs immobiles. J'ai ramassé une petite pigne, que j'ai emportée avec moi.

23.6.06

Cérémonie

J’ai pris la grande feuille de papier et je l’ai plié en deux puis encore en deux. J’ai commencé le pliage du pli, vers le de plus en plus petit, mais assez grand tout de même. Pour y déposer la bougie. Que j’ai allumée. Je suis ensuite rentrée dans l’eau, à mi-mollet, et j’ai poussé, vers le plus-pied, le lointain, le large, l’horizon.
J’ai chanté à pleine voix vers la flamme :
Que le nom sublime de l’Eternel soit élevé et exalté en ce monde.
Sur le bord je me suis assise, et j’ai pleuré.
Si je t’oublie , Jérusalem,
Que ma droite m’oublie
Que ma langue s’attache à mon palais.
Puis au saule de la contrée j’ai suspendu ma harpe.
Et je suis partie

20.6.06

Dictionnaire des mots laids, 1


NEUTRE :

ETYMOLOGIE : du latin neuter,ni l’un ni l’autre

1. Qui n’est ni bon ni mauvais, ni bien ni mal, ni beau ni laid

2. Qui s’abstient de prendre parti, de s »engager d’un côté ou d’un autre, soit par objectivité, soit par crainte ou manque d’intérêt (indifférent, prudent)

3. Qui appartient à la catégorie grammaticale dans laquelle se rangent en principe les noms d’objets ou d’êtres étrangers à l’attribution d’un sexe...se dit pour certaines espèces des individus dont les organes sexuels sont atrophiés...

4. pour une couleur : qui est indécis, sans éclat.

5.sans éclat, monotone, fade

6. Qui est dépourvu de passion, d’originalité, qui reste détaché, objectif. Style neutre, inexpressif

DE LA MEME FAMILLE :

neutraliser :

1. absorber la lumière
2. provoquer la disparition de
3. rendre inoffensif
synonymes : annihiler, contrecarrer, paralyser

QUESTION :

Des amis peuvent-ils être neutres ?

CITATIONS :

Les masses sont l'inertie, la puissance du neutre.
Jean Baudrillard

14.6.06

Un grand ménage

J’ai commencé un grand ménage. Il dure depuis des mois. Cela n’en finit pas. C’est comme les travaux du tramway. Je traverse des périodes de frénésie. Puis des périodes de découragement. Quelques périodes d’arrêt total, mais qui ne durent jamais longtemps.
Je n’ai jamais aimé faire le ménage. Je veux dire la poussière, astiquer, toutes ces taches mystérieuses, auxquelles certain(es) se dévouent âmes et corps frottant. Activités totalement éphémères puisque la poussière revient toujours. Ce désamour m’a valu l’hostilité de ma belle-mère, la haine de ma belle-sœur. Rien n’y a fait. Je suis une irréductible.
Pourtant, je ne suis pas une cradingue. J’aime quand c’est propre, que ça sent bon le frais. J’aime l’odeur du savon de Marseille, celle du produit des sols diversement cloné de la nature, de la Saint-Marc ; celle de la cire à encaustiquer, de la lessive liquide, de la lessive en poudre, de celle en paillettes de mon enfance. Celle du jex bleu et du produit vaisselle. Celle de l’éponge neuve et celle de la lavande. J’aime avoir une femme de ménage qui astique et fait briller, et qui prend des initiatives. Mais je déteste que ce temps soit pris sur le mien. Le temps du ménage m’est toujours du temps volé, volé à la musique, à la lecture, à la promenade, au travail. Je suis l’antithèse absolue de la bobon(n?)e.
Par contre j’adore les grands ménages. Synonyme élimination. Synonyme djihad. Je pars en croisade contre l’envahissement des objets. Les objets nous guettent et veulent notre fin par étouffement. J’ai toujours mené contre eux un combat acharné. Et régulièrement, dans ma vie, je fais un grand vide.
Les premières victimes sont les objets purement objet, les bibelots, rarement achetés, souvent reçus. Avec un dégât des eaux, sont venus les livres. Je me suis aperçue que je n’en avais pas bougé la plupart depuis mon déménagement, que je n’en avais pas ouvert une bonne partie depuis que je les avais finis ou pire que je les avais achetés ; ce sont devenus des objets sans vie et sans but, comme les vieux jouets après Noël.
En ce moment, j’ai atteint les couches géologiques :les souvenirs. J’ai vécu dans des appartements trop grands où je faisais l’archéologue de ma propre vie. Entassés les courriers, les cartes d’anniversaires. Les photos, les prospectus. Les bouts de ficelles et les débris de pots, les insectes secs et les galets troués. En les retrouvant, je me suis aperçue que je n’avais guère d’émotions : les oliviers recouverts de mue de cigale, les galets de Loutsa sont dans un coin de ma mémoire, et je les remets en service régulièrement ; certains débris se sont perdus dans ma mémoire et n’ont aucun intérêt à y revenir. Comme les mauvais romans que l’on ne devrait jamais garder sur ses étagères.
Autre sentiment singulier, cette année j’ai fait la même chose avec les gens. Ce n’était pas du tout volontaire. J’ai attrapé un divorce. C’est une sale maladie honteuse : elle doit puer, car il y a un périmètre d’éviction que beaucoup ne veulent pas franchir. Et en plus elle doit être contagieuse car beaucoup vous fuient de peur de l’attraper. Certains, comme dans la chaîne alimentaire, en profitent pour disparaître, fossoyeurs ou régleurs de vieux comptes. Le premier choc passé, c’est parfois très douloureux, mais aussi somme toute amusant et très écologique : c’est un tri sélectif où l’on arrive parfois à recycler. En tout cas c’est aussi une forme de grand ménage.
Ce soir, je suis toute courbatue. J’ai charrié un nombre considérable de vieilles factures, de vieux agendas, tout ce résumé de ma vie la plus quotidienne s’en est allé. Je n’ai pas de regret. Le grand ménage, je l’ai fait aussi en moi. C’est comme un poids que j’ai laissé en route. Cela doit être cela que ressent le sanyasin qui ne prend que sa natte et son bol à offrande et part par les chemins, ou le moine zen qui atteint l’autre rive de son esprit. Mon esprit reprend le goût de l’aventure et des nouveaux chemins.

5.6.06

J'ai repris la lecture de Trois chevaux que j'avais interrompue et la serenpidité m'y a rejointe.
Voici ce qu'écrit De Luca :

"Puis un été, je rencontre Dvora.
Il y a des créatures destinées aux autres qui n'arrivent jamais à se rencontrer et qui se résignent à aimer une autre personne pour racommoder l'absence. Elles sont sages.
Moi, à ving ans, j'ignore les étreintes et je décide d'attendre. J'attends la créature qui m'est attribuée. Je suis attentif, j'apprends à parcourir en un instant les visages d'une foule. certaines méthodes enseignent la lecture rapide des livres, moi j'apprends à lire une foule au vol.
Je la passe au crible, je la rejette toute entière, pas un grain de ces visages ne reste sur ma rétine. je sais toujours qu'elle n'y est pas, celle qui m'est attribuée.
je n'ai aucun portrait en tête à coller sur un visage, non , l'attribution ne dépend pas des yeux, même si je ne sais pas de quoi elle dépend. J'attends de la rencontrer pour en connaître la forme.
Attendre. C'est mon verbe à vingt ans, un infinitif sec sans trace d'angoisse, sans bavure d'espérance. J'attends à vide.
Je rencontre Dvora en montagne.
....
Dvora crie son salut, plus limpide que l'air du midi : "olé". Sa voix me saisit de dos et je la reconnaîs, c'est elle, celle qui m'est attribuée., je le sais aussitôt et j'ai l'impression de savoir depuis toujours que ce n'est pas un visage, mais une voix que j'attends.
...
Nous arrivons au refuge, elle n'y est pas...Je reste assis, le dos contre la porte, car j'attends la voix.
Et elle arrive. Voilà Dvora, je sens des abeilles dans mon sang, un ours dans mon cœur, chaque battement est une patte qui démolit la ruche.
Elle me donne sa main et moi je sais que je ne la lui rendrai plus."

Fond noir ? Fond blanc ?

J'ai connu cet instant, il y a longtemps. Il y a trente ans et six mois.
J'y ai cru. Ai-je eu raison ? L'histoire a duré vingt neuf ans et six mois.
Mais je ne suis pas tombée d'un hélicoptère comme la Dvora sans h de l'histoire.
Même si je me ressens comme si cela m'était arrivée.

M'étais-je trompée de voix-e ? Peut-on deux fois être promise ?

Fond noir, fond blanc ?

Serais-je plus courageuse que resh Lakish ?

Peut-être en saurai-je plus long dans quelque temps, je n'ai pas encore fini "trois chevaux".

De Luca y dit ensuite :
"Je ne crois pas aux écrivains, mais à leurs histoires, c'est ce que je réponds à un marin criblé de taches de rousseur qui me demande si j'ai foi en Dieu."

22.5.06

Le balcon



Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs ! Ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !

Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m'était doux ! Que ton cœur m'était bon !
Nous avons dit souvent d'impérissables choses
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l'espace est profond ! Que le cœur est puissant !
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! Ô poison !
Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.

Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton cœur si doux ?
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses !

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s'être lavés au fond des mers profondes ?
- Ô serments ! Ô parfums ! Ô baisers infinis !

Charles Baudelaire dans les Fleurs du mal

18.5.06

la mort de Resh Lakish

Rav Yeshaya de Nice et moi avons quelque petite discussion talmudique samedi après-midi :

Voici l’histoire de rech Lakich : source : rabbin David Meyer

" Un jour, Rabbi Johanan se baignait dans le Jourdain. Un dénommé Rech Lakich, bandit de grand chemin, le vit et sauta dans le fleuve pour le voler et le mettre à mal. 'Tu devrais consacrer ta force à l'étude de la Tora, de la Loi, lui dit Rabbi Johanan. Ce à quoi Rech Lakich répliqua quelque peu abruptement : "Ta beauté conviendrait mieux à une femme" ! 'Si tu te repentis et changes ta vie, je te donne ma sœur pour femme", continua Rabbi Johanan. Rech Lakich accepta la proposition et se mit à étudier la Tora et ses commentaires. Un jour, il y eut une discussion dans la maison d'étude sur la question de savoir à quel moment des objets de fer, tels que couteaux et poignards, sont susceptibles de devenir impurs ? On s'accordait pour dire que c'était au moment même où leur fabrication était achevée ? Mais Rech Lakich soutenait que c'était au moment où la lame était plongée dans l'eau. 'Le bandit connaît son arme"lança Rabbi Johanan ! Profondément blessé par ce rappel douloureux de son passé, Rech Lakich tomba malade et mourut." (Baba Metsia 84b).

Notre discussion était, si j’y suis fidèle, la suivante : j’affirmai que Rech Lakich était mort de chagrin, et le R.Y.N. n’était pas d’accord, parlant plutôt de décès dû à la honte sociale d’une origine rappelée publiquement et que peut-être certains ignoraient dans l’assemblée.

1.Que nous dit le Rabbin Meyer qui rapporte cette histoire sur Internet :
« Cette histoire, qui par certains égards semble farfelue, nous fait pourtant réfléchir à la cause réelle de la mort de Rech Lakich. C'est ce regard figé que les autres portent sur lui, regard qui lui refuse la possibilité de changer, qui le fait sombrer dans la déprime, dans la maladie et dans la mort. »

2. Que nous dit Professeur Yehoshua Ra'hamim Dufour
« Probablement mécontent de perdre sa supériorité dans ce couplage particulier, Rabbi Yohanan, faisant allusion à l’ancienne basse profession de son collègue lui lança : “le voleur sait comment on vole”. Une vive discussion surgit entre les deux et Rabbi Yohanan ajouta que c’est lui qui l’avait fait en tout ce qu’il était devenu et il resta sur sa colère. L’autre tomba malade.
Sa femme, la soeur de Rabbi Yohanan, vint supplier son frère de revenir sur son comportement mais il refusa et Rech Lakich en mourut. Rabbi Yohanan déchirait alors ses vêtements et disait en pleurant : “où es-tu Bar Lakich ?”. Son chagrin était si fort qu’il en perdit l’esprit et malgré les prières des sages il mourut.
Sans faire ici toute une analyse de nombreuses dynamiques relationnelles qui paraissent clairement, insistons seulement sur l’adhérence totale de la personnalité de Rech Lakich à l’obédience de celle de Rabbi Yohanan malgré leur différence essentielle. Lors du premier rejet, une négociation permit à la fois de repousser l’approche, d’un côté, et de l’accepter totalement par ailleurs. Il y eut bien transaction et non fusion. À ce prix, Rech Lakich n’avait pas été rejeté. Lors du second rejet, réel cette fois, qui annulait toute l’image que Rech Lakich s’était lentement forgée lui-même, à grand prix et avec la complicité de Rabbi Yohanan, la représentation de soi actuelle était détruite et la représentation ancienne revenait brutalement mais sous un total mépris. Il était doublement tué en lui-même dans la mesure où il s’était mis en dépendance totale du miroir qu’était maintenant pour lui son ami. Il en mourut. Mais, ce qui apparaît alors, c’est que l’autre, le méprisé, servait également de miroir pour l’image personnelle de Rabbi Yohanan et l’ayant lui-même détruite, il mourut également. Chacun avait été mu par un processus d’auto-destruction. »

3. Steinsaltz dit dans « Personnages du Talmud » :
« Rabbi Yo’hanan , qui sentit que la mort de son collègue était due à la colère et à la rudesse qu’il avait manifestées contre lui, ne put lui, survivre longtemps. »

4. Je me retrouve bien dans ce que dit Elie Wiesel dans Célébration Talmudique :« Resh Lakish était tellement bouleversé qu’il en mourut. Il mourut littéralement de chagrin. Quant à Reb Yohanan, lui non plus ne parvint pas à surmonter sa douleur. ..Étrangement, c’est Resh Lakish qui tant d’année auparavant avait affirmé que la différence entre un Juste et un malfaiteur tenait en un mot, en un seul mot... Ce mot pourquoi Rabbi Yohanan le prononça-t-il ? Pourquoi sa colère éclata-t-elle soudain ?Que lui arriva-t-il pour qu’il perde son sang-froid ? Il savait que sa remarque blesserait son ami : pourquoi ne l’a-t-il pas retenue ? Nous ne savons que répondre. Mais lui, le savait-il ? Et est-ce parce qu’il savait que sa raison se troubla ? En ce qui nous concerne, nous ne prendrons pas parti. Lequel est un héros, lequel est un anti-héros ? Ce qui est sûr, c’est que la tragédie les rend tous deux plus humains, c’est-à-dire plus vulnérables. La réaction de Resh Lakish à la remarque de Reb Yohanan et celle de Reb Yohanan à la douleur de Rev Lakish prouvent qu’ils restèrent amis, des amis intimes, jusqu’à la fin, jusqu’à la toute fin. Qui sommes-nous pour les séparer aujourd’hui ?

Il me semble que ma vue était plutôt juste : il est tout à fait possible de mourir de chagrin d’amitié, même si l’on est un sage du Talmud...

17.5.06

divagations célestes

Ce soir, j’ai surfé sur le net, et j’ai trouvé ces photos de ciels indiens. Aussitôt, j’ai pensé à ceux de mon ami le peintre. Etrange la parenté de ces ciels, pour les uns capturés par l’objectif numérique, pour les autres élaborés lentement sous l’huile et le pinceau, des cieux indiens et d’autres pas, pourtant les mêmes. J’ai perdu mon ami. Ce fut douloureux, un vrai chagrin d’amitié. Ce fut uniquement ma faute, je croyais être son amie, je n’étais que la femme de son ami.
Mais cependant, j’y ai gagné. J’y ai gagné une autre vision des cieux.

7.5.06

Anniversaire

Aujourd’hui, 7 Mai 2006, cela fait un an.

J’ai peine à dire anniversaire car pour moi anniversaire est intimement précédé du mot bon.
Pourtant, c’est comme cela que l’on dit, même dans le Grand Robert. Anniversaire : commémoration d’un événement.
Mais QUEL événement ?
Ou plutôt une liste d’événement.
Cela fait un an que ma vie a changé.

Les anniversaires sont l’occasion de faire le point.
Au bout d’un an, où en suis-je ?

-15 kg en moins, dont 1kg de cheveux. Selon l’opinion générale, je suis physiquement au mieux de ma forme. Cheveux très courts, noirs et rouges. Des gens me croisent et ne me reconnaissent pas. Changement total de look vestimentaire ; quand je rentre dans un magasin de fringues, j’essaie des choses qui me semblent incongrues, et souvent je les achète. Je ressemble à une héroïne de Bilal. Je vois dans les yeux des autres qu’ils me trouvent belle. Et je sais que je le suis.

- Je suis une femme seule. Je n’avais jamais vécu seule de toute ma vie. J’en découvre tous les aspects. Ceux que je déteste : n’avoir pas d’épaules ou se blottir quand ma mère est à l’agonie, n’avoir pour amant qu’un godemiché. Ceux que je préfère : traîner en tee-shirt sans avoir de réflexions, m’installer à une terrasse de café, décider au dernier moment d’aller manger des sushis ou de rester prendre un pot tardif avec mes amis, me parfumer et me faire belle pour moi, avoir dans mon congélateur de la glace à la fraise, écouter et chanter à tue-tête des chansons débiles sur Chérie FM, regarder les conducteurs des Mercedes décapotables avec concupiscence.

-J’ai un nouveau style de vie : Je fais mon lit tous les jours. Je cultive des plantes aromatiques sur mon balcon. Je vais danser le flamenco, au concert, au théâtre ou au café avec les copines. Je mijote des petits plats quasi quotidiennement. Je ne regarde plus la télévision. Je ne porte quasiment jamais de montre et je ne réponds qu’une fois sur trois au téléphone.

-Je crée et j’ai des projets : j’ai deux blogs (Melissa Likos et the sad-side of the she-wolf ). Je prépare une éventuelle reconversion à l’étranger. Je monte un spectacle avec une danseuse et un autre avec un récitant.

-J’ai des problèmes d’identité : je ne me reconnais plus lorsqu’on m’appelle Françoise et je ne me trouve pas dans l’annuaire de l’IUFM parce que je ne cherche pas à Mme Massa. Je ne sais pas si je dois signer Dvorah ou Melissa.
Et cependant, je suis devenue une seule personne : je ne suis plus la femme de ; les gens, et il y en a beaucoup, m’invitent, travaillent avec moi ou m’apprécient pour moi-même.

-Je fais des découvertes et ai de nouvelles envies : Rome, l’Europe sans la Méditerranée, boire l’apéritif, prendre un pot aux terrasses, aller en vacances dans des pays froids ou pluvieux, apprendre l’Italien, mettre de l’autobronzant.

-Le ménage s’est fait dans les proches :
J’ai appris à vivre le malheur et l’effet que cela produit sur les proches.Ma vie antérieure, atypiquement établie sur la confiance, l’éthique, l’esthétique et le partage pendant une trentaine d’année, s’est effondrée ; cela a déstabilisé ou réjouit certains, que ce bonheur irritait, réjouissait ou déstabilisait. Certains sont indifférents. Les réactions ont été sexuées, une découverte pour moi : la réaction des hommes, la réaction des femmes. Les effets de la déflagration sont à retardement : j’en ai vu changer : se détourner de moi comme si j’étais porteuse d’une maladie contagieuse, se lasser de trop de malheur, de trop de tristesse, de trop de temps, de trop de trop. J’en ai vu ressortir les mesquineries de la vie des oubliettes. J’en ai vu que je n’ai pas vu ni parlé, disparus, aux abonnés absents ou aux lieux communs assassins. J’en ai vu imperturbables, les mêmes défauts, et les mêmes qualités ; une constance rassurante en fait. J’en ai vu des lointains, des inconnus mêmes qui devenaient proches. Cette année fut faite de surprises. Je n’oublie pas les constants, les constants de tous les instants, les constants de toutes les attentions, les constants du téléphone et les constants des petites ballades, les constants des petites attentions, les constants avec qui l’on ne parle de rien mais qui sont toujours là au moment où il faut. Ils sont chers à mon cœur.

-Pour tous ceux-là, ces nouvelles. Pour ceux qui sont partis et ne reviendront pas tant mieux, pour ceux qui sont partis et ne reviendront pas tant pis. Pour ceux qui sont là silencieux. Pour ceux qui sont là parlants. Voici les nouvelles
Sans eux, ou avec eux, j’ai traversé l’année. J’ai eu mal, peur, froid. Et comme ce mail artiste des années 80 je dirai : I AM STILL ALIVE. Et bien là. En chair et en os. En désir et à vif.
Il y a un an et un jour, j’ai vu le film de Ridley Scot Kingdom of Heaven. Il y est dit.
-Que deviendrons-nous ?
-Le monde décidera. Le monde décide toujours.

Et à tous rendez-vous au plus tard, à la fin de l’an 2 (si les courriels vous trouvent dans vos boîtes)

Françoise-Dvorah-Melissa Massa-Lalou-Zehev-Likos
7 Mai 2006

3.5.06

après

L'échange de correspondance entre Debussy et dont parle Laurence Eichhorn surle blog de Christian. m'en a rappelé un autre, de la même époque, entre Victor Segalen et son ami Henry Manceron. Voici la dernière lettre que Marie Manceron, sa femme, a écrite à Victor et la réponse de ce dernier, sa dernière lettre :

"
Tamaris, 6 septembre 1918,
Mon cher ami,
...Votre lettre m'a fait du bien. J'ai l'espoir de pouvoir rattacher le fil quotidien sans heurts, plus tard, quand les destins géographiques nous rapprocheront. Henry vous a-t-il écrit ? Je le sens fatigué, en train même de faire un peu de neurasthénie : mon affection aurait besoin de votre aide médicale pour remonter un peu l'absent. Cett vie solitaire et tendue le fatigue; et comme je ne vis "que de lui", chacune de ses pensées et de ses tristesses trouve un écho en moi. Vous comprendrez cela, en pensant à votre dure année de Chine.
A quand la fin de tout ceci ? Et qui serons-nous après ? A force de mâcher ce qui est dur, serons-nous encore capables de goûter à ce qui est succulent ?
Au revoir; A tous deux ma profonde amitié. J'attends avec impatience ce que vous nous livrerez bientôt du travail actuel.
Votre amie Riquette

Victor Segalen à Marie Manceron, Brest, 4 Novembre 1918
Ma chère amie,
je regarde avec stupéfaction la date de votre dernière lettre : 6 septembre, est-ce possible ? Même à supposer le lapsus d'un mois, il y aurait donc si longtemps ! ...
La grande Chose tire à sa fin, magnifiquement pour nous, d'ailleurs. Je souhaite vivement savoir Henry près de vous, bien que, de mon côté, je ne sache de longtemps où vous rejoindre tous les deux. Dès que le projet sera décent à reprendre, je préparerai mon émigration sur Paris, pour aussi longtemps que le demanderont mes publications et bien d'autres désirs...celui de musique, entre autres !- Voici longtemps que, volontairement, j'ai vécu comme un sourd...
Encore une fois tout s'achève, et voici les temps libres qui renaissent. A bientôt donc, en dehors de tous les retards et lointains.ôtre
Victor

Ainsi s'achève cette correspondance. La mort de Victor Segalen anéantira définitivement kes espoirs de retrouvailles...La mort de Segalen, survenue le 21 Mai 1919, lors d'une promenade où il s'était blessé à la jambe, et que l'on a expliquée par une brutale syncope...
Henry Manceron n'a semble-t-il rien écrit sur cette disparition et en a peu parlé. Il a conservé précieusement toute sa vie les lettres reçues de son ami. Qu'a-t-il exactement éprouvé à la perte de cet homme, finalement si différent de lui par sa sensibilité sur de nombreux sujets ? On peut imaginer qu'elle l'a laissé dans des dispositions d'esprits proches de celles du narrateur de René Leys (Victor Segalen), qui ne trouve rien d'autre à dire que ces paroles / Et je suis là vivant, promenant autour de sa mort mon doute comme une lanterne fumeuse...-J'étais son ami,-devrais-je dire avec le même accent, le même regret fidèle,-sans plus chercher de quoi se composait exactement notre amitié..." "
in Trahison fidèle, Victor Segalen-Henry Manceron, Correspondance 1907-1918

29.4.06

Les dessous chics

"C'est ne rien dévoiler du tout
se dire que lorsqu'on est à bout
c'est tabou

les dessous chics
c'est une jarretelle qui claque
dans la tête comme une paire de claques

les dessous chics
ce sont des contrats résiliés
qui comme des bas résilles
ont filé

les dessous chics
c'est la pudeur des sentiments
maquillés outrageusement
rouge sang

les dessous chics
c'est se garder au fond de soi
fragile comme un bas de soie

les dessous chics
c'est des dentelles et des rubans
d'amertume sur un paravent
désolant

les dessous chics
ce serait comme un talon aiguille
qui transpercerait le cœur des filles"

Echos, 2

"Personne n'avait à le savoir. Cela serait un autre temps. Ce temps serait vécu par une autre femme. Il se situerait dans un autre monde. Il ouvrirait une autre vie.


... elles étaient entrées à l'intérieur de la ferme et elles avaient bu un verre de vin cuit en y trempant des biscuits au sucre et en racontant leurs vies respectives, malheureuses, les hommes égoïstes, libidineux, autoritaires, peureux , misérables. Elles évoquaient les bonheurs qui vieillissaient comme les corps.


-...Au téléphone il pleurait. C'était une histoire très triste à écouter
-Ca lui fera des yeux brillants...Avec des yeux brillants, il examinera avec plus de soin le fond de sa vie.


On dit que la toile selon son étendue, sa forme, sa solidité, ses leurres, sa beauté, au tout dernier moment tisse l'araignée qui lui est nécessaire.


L'envie que l'autre a de soi inventa un règne dont la disparition l'emplit de douleur.


Il y a un plaisir non pas d'être seule mais d'être capable de l'être.
O Oh How I"



Pascal Quignard in Villa Amalia

28.4.06

Apesanteur

Survint un état d'apesanteur.
Etrange état où le corps s'éloigne légèrement de lui-même. Où tout s'assèche dans le monde interne.
Où la lucidité ou du moins le vide commence à se mouvoir dans l'espace du crâne.
Où, si la souffrance persiste, elle fait moins souffrir.
Où au moins la souffrance fait souffrir d'un peu plus loin à partir de corps lui-même.

Pascal Quignard in Villa Amalia

Roquefort

"Au terme du déjeuner du dimanche 11 janvier, Madame Hildenstein apprit à sa fille âgée de quarante-sept ans qu'il n'était plus question, lorsqu'on coupait le roquefort, qu'elle prît toute la moisissure.
-La moindre des choses, ma petite, est que chacun prenne sa part de blanc.
Elle avait froncé le front.
Alors ses yeux bretons étaient devenus bleu intense.
Bleus comme la peau d'un requin."

Pascal Quignard in Villa Amalia

Echos

Tu es Anne. Plus précisément : tu es celle qui ne voulais pas qu'on l'appelle Eliane...
-C'est vrai, murmura-t-elle. C'était..
-Que dis-tu ?
Elle parla plus fort :
-C'est vrai. C'était mon nom jadis.
........................................................................
Alors elle mit sa tête entre ses mains. Elle se mit à souffrir sans retenue dans le salon, confortablement assise entre le secrétaire et les rideaux, entre la pousière et la poussière, pendant qu'il faisait griller le pain.
.........................................................................
-Pourquoi faudrait-il que j'accepte que tu casses tout ce qui a été jusqu'ici notre vie ?
-Parce que j'ai quarante-sept ans. Il y a quarante-sept ans que je suis née dans une petite ville de Bretagne où on portait de longues nattes dans le dos et où on tirait ses chaussettes jusque sous les genoux. Voilà la pauvre raison. Je n'ai plus le droit à l'erreur.
-Et moi je suis l'erreur ?
-Tu n'es pas une erreur, Thomas. Tu es une faute. Tu es tout simplement une faute.
...........................................................................
Villa Amalia, Pascal Quignard

27.4.06

L'exploration du détroit d'Almassy.

J'avais 46 ans la première fois que je suis morte. Il y avait du noir partout. C'était la guerre, je me sentais morte. Mais j'étais vivante. Parfois, je crois qu'on vit des choses juste pour pouvoir dire qu'elles sont arrivées. Pas à quelqu'un d'autres, mais à moi... Il vaut mieux affronter les cauchemars éveillée qu'endormie. Parfois, devenir amnésique est une nécessité. Pour pouvoir affronter un nouveau destin. Pouvoir croire de nouveau au puits du regard. Au bras qui s'enroule à l'épaule. A la tête en son creux. A l'exploration du détroit d'Almassy.

The jacket

"J'avais 27 ans la première fois que je suis mort. Il y avait du blanc partout. C'était la guerre, je me sentais vivant. Mais j'étais mort. Parfois, je crois qu'on vit des choses juste pour pouvoir dire qu'elles sont arrivées. Pas à quelqu'un d'autres, mais à moi. Parfois, on vit pour défier le destin... Parfois, la vie ne commence vraiment que lorsqu'on sait qu'on va mourir. Que tout peut s'arrêter, même quand on en a le moins envie. L'important dans la vie, c'est de croire que tant qu'on vit, il n'est pas trop tard... Il vaut mieux affronter les cauchemars éveillée qu'endormie. "

in "The jacket" de John Maybury

25.4.06

Hors-saison





C'est le silence
Qui se remarque le plus
Les volets roulants tous descendus
De l'herbe ancienne
Dans les bacs à fleurs
Sur les balcons
On doit être hors-saison

La mer quand même
Dans ses rouleaux continue
Son même thème
Sa chanson vide et têtue
Pour quelques ombres perdues
Sous des capuchons
On doit être hors-saison

Le vent transperce
Ces trop longues avenues
Quelqu'un cherche une adresse inconnue
Et le courrier déborde
Au seuil des pavillons
On doit être hors-saison

Une ville se fâne
Dans les brouillards salés
La colère océane est trop près
Les tourments la condamnent
Aux écrans de fumée
Personne ne s'éloigne du quai

On pourrait tout prendre
Les murs, les jardins, les rues
On pourrait mettre
Aux boîtes aux lettres nos prénoms dessus
Ou bien peut-être un jour
Les gens reviendront
On doit être hors-saison

La mer quand même
Dans ses rouleaux continue
Son même thème
Sa chanson vide "où es-tu ?"
Tout mon courrier déborde
Au seuil de ton pavillon
On doit être hors-saison...

Une ville se fâne
Dans les brouillards salés
La colère océane est trop près
Les tourments la condamnent
Aux écrans de fumée
Personne ne s'éloigne du quai

Francis Cabrel

24.4.06

Destin

Un élu, c'est un homme que le doigt de Dieu coince contre un mur.
Jean-Paul Sartre

Jonquilles

J'ai acheté des jonquilles dans un pot. Minuscules, délicates. Je n'avais jamais acheté les premières jonquilles, je les avais en offrandes.
Ils ont démonté l'échafaudage. La lumière est revenue dans le salon. Le jour des jonquilles, la lumière est revenue et je peux vivre à nouveau en pleine lumière. Les travaux de réparation sont finis.

La petite valise rouge

Ce jour là, Marie l'a vu passer de son balcon. Il traînait la petite valise rouge, celle que nous avions achetés ensemble pour nos week ends en amoureux et nos concerts. Dans l'autre main, il tenait la valise de son tsouras. Cet instrument, je l'avais poussé à l'acheter à Kalamata. J'avais chanté à ses accords la chanson de mariage de l'amandier et de la cannelle.
C'est ainsi qu'il est parti, il y a presqu'un an.
C'est ainsi que mon cœur s'est brisé aux éclats.
Cette scène me revient en boucle les jours mauvais, étrangement non pas depuis le couloir du 22, mais depuis la vue du balcon de Marie.